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La Grande Chasse

Lewoal · Fantasy
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6 Chs

Chapitre 3

Plusieurs jours étaient passés, aujourd'hui c'était le grand jour ! L'arène allait être officiellement ouverte et les dragons lâchés. Ça faisait au moins trois heures qu'un des employés s'égosillait dans un porte-voix pour rassembler la foule à l'intérieur. Mais à moi il me cassait surtout les oreilles. En face des portes, il y avait une manifestation de personnes qui militaient contre la chasse, mais s'il n'y avait plus de chasse, comment ma famille pourrait vivre ?

De l'autre côté, il y avait un groupe de chasseurs, mais il semblait y avoir un écart d'expérience flagrante parmi eux.

- Ils ont tous l'air aussi faibles les uns que les autres, lança un homme vêtu d'une armure en plaques, une épée et un bouclier qui avait visiblement rencontré des flammes par son aspect fondu.

Il reluquait avec méprit ceux qui n'avaient qu'une mince côte de maille ou une cuirasse de basse qualité et ne daignait même pas jeter un œil aux chasseurs en chemise. Même moi, je savais qu'ils allaient avoir des problèmes face à nos bêtes avec si peu de matériel.

Progressivement, les étrangers et les locaux s'installèrent dans les gradins en attente de voir leurs proies ou simplement d'admirer les "trophées" qu'ils allaient pouvoir se procurer une fois capturés et tués. En dehors de la tête que tata empaillait, on récupérait le corps, les écailles les dents qu'on remplaçait par des fausses et même les yeux qui étaient soi-disant « afro dit ziak », mais il n'a jamais voulu me répondre quand je lui demandais ce que ça voulait dire. Pas même tata, à croire qu'ils s'étaient mis d'accords pour se moquer de moi.

Le vendeur qui résidait en face de l'arène fabriquait des figurines de dragons en verre, de toutes tailles et de toutes sortes, il avait même répliqué Seipher à l'identique à l'instant même où ils commençaient à l'installer sur la plateforme, il devait avoir une sacrée bonne vue pour observer tous les détails de ses écailles à cette hauteur. D'ailleurs, la bête ne s'était pas beaucoup débattue, à croire qu'ils l'avaient endormie avant de l'amener.

Comme papa et tata étaient occupés à ramener les dragons, j'avais pu trouver une longue rangée où j'étais assis avec tous les copains au premier rang, c'était l'avantage d'être de la famille des éleveurs, on pouvait tout voir de très près et derrière nous se trouvaient les Mürbak, les parents de ma mère, même si mamie Copheles s'était remariée, je les considérais quand même comme ma famille. Mais après avoir passés plusieurs semaines à côté d'eux, ça ne me faisait plus grand chose contrairement aux copains qui avaient des étoiles dans les yeux et qui tremblaient d'impatience. Au centre des gradins, des joueurs de musiques rendaient hommage aux chasseurs qui avaient perdue la vie aux précédents jeux, mais la chanson n'était pas vraiment mélancolique, plutôt entraînante même.

- Tu crois qu'on va les voir bientôt ? Demanda Rinsula, ma plus jeune cousine, qui s'était tellement penchée vers moi que ses cheveux me chatouillaient le dos.

- Tata m'a dit qu'ils auraient les neufs sur place vers midi, répondis-je en haussant les épaules.

- Mais la dernière fois qu'on est allés chez toi il y en avait dix, assura Fornlley, le plus petit garçon aux cheveux châtains au et au nez tordu des orphelins.

- Oui, dix, mais il en manquera un puisqu'on ne peut pas l'attacher, leur expliquais-je.

L'annonceur se racla la gorge bruyamment pour faire taire l'auditoire, il dut attendre cinq bonnes minutes avant que le silence soit complet tandis que les musiciens commencèrent une composition entraînante pour la présentation.

- Mesdames et messieurs, vous les avez attendus pendant trois ans, les voici, annonça-t-il à gorge déployée, voici notre premier mâle ! Le plus gros de la portée, mais aussi le plus effroyable.

Seipher se faisait traîner en laisse par une chaîne énorme, il avait visiblement été endormi avec l'opium de notre serre, comme tous les autres, sa fougue habituelle était indubitablement absente.

- Notez bien ses couleurs pour le reconnaître, ses écailles ont la même couleur que le lichen et ses yeux sont noirs comme l'obsidienne, il sera certainement très difficile à repérer parmi les arbres, continua-t-il.

Ce fut au tour de Dilapha d'être traînée sur le terrain par papa tandis que Seipher était en train de repartir aux mains de ma tante.

- La magnifique femelle de l'élevage, à l'envergure impressionnante, les écailles aux couleur d'ambre. Avec l'arrivée de l'automne, vous aurez du mal à discerner son camouflage des feuilles mortes, assura-t-il.

- Elle va être facile à repérer en hiver, celle-là, entendis-je non loin de moi.

Je remarquais en même temps que Yuvan n'était plus à sa place, peut-être était-il parti aider. Au fur et à mesure que nos dragons étaient présentés, le brouhaha des gradins augmentait progressivement, l'annonceur hurlait de plus en plus fort pour se faire entendre. Comme je les connaissais tous, je discutais avec ma famille et mes copains au lieu d'écouter. Et comme le vacarme couvrait la moindre parole, plus personne n'entendait ce pauvre homme qui s'égosillait à n'en plus pouvoir. Toutes nos bêtes avaient défilé, il ne restait plus qu'à présenter Vaporos.

- Et enfin le dernier, pardonnez son absence, mais il s'agit un dragon spécial qui ne possède pas de corps à proprement parler, il est constitué de vapeur, c'est impossible pour notre équipe de l'amener ici en toute sécurité, il sera donc attiré dans la forêt avant les autres s'il n'y est pas déjà. En ce qui concerne les chasseurs, reprit-il, vous devez impérativement signer le registre pour signaler votre présence pour éviter la triche en étant déjà sur place, si vous ne le faites pas, vous serez disqualifié et votre trophée vous sera confisqué et vendu au plus offrant.

À vue d'œil, il devait y avoir deux cent ou trois cent participants, mais seulement une petite cinquantaine était était ��quipée d'armures. La chasse allait être rude pour les autres. Nous attendions devant l'arène, que la foule se calme avant de rentrer dans nos maisons respectives. Nuaro semblait tout excité.

- TU TE RENDS COMPTE ? On va voir des cadavres de partout !

- Je sais pas si c'est vraiment une bonne chose, répondit Fornlley en levant un sourcil.

Jobiella nous demanda combien de temps allait durer la chasse, mais même moi je n'en avais aucune idée. Peut-être un mois, deux ou quoi, peut-être même jusqu'à l'année prochaine, qui sait. Mais plus vite la chasse était finie, mieux c'était pour ma famille. Papa disait qu'il nous fallait rapidement des « revenus » pour survivre les prochaines années. Mais pas de dragons, pas d'argent. J'osais à peine imaginer ce qu'il nous arriverait si tous les chasseurs venaient à mourir ou s'enfuir. Nous sautions à cloche-pied jusqu'en bas des marches et nous nous séparâmes pour le reste de la journée.

Tard dans la soirée, la pluie recommença à tomber après s'être abstenue pendant plusieurs jours, mais cette fois-ci, en regardant par la fenêtre, la plaine était vide, comme avant. L'étang de Vaporos débordait et les nids en terre des autres se décomposaient sous la force du déluge. Tata et papa avaient barricadée la maison pour palier à toute inondation dans la nuit néanmoins quelques petites gouttes avaient réussies à s'infiltrer dans ma chambre à travers le toit. Comme il n'était pas encore l'heure d'aller dormir, je déambulais dans la maison. Le couloir était vide mais il était poussiéreux, avec les préparatifs de la chasse, personne n'avait pris le temps de faire le ménage, les portes des deux autres chambres étaient fermées. Je passais devant la cuisine vide, il restait deux couverts sur la table à manger mais personne n'était dans le salon à côté, il ne restait que le bureau dont la porte était entrouverte. Un petit faisceau de lumière s'échappait, en ouvrant la porte, j'y trouvais mes parents tous les deux attablés à leurs bureaux à la lumière d'une lampe en train de préparer je-ne-sais-quoi, comme d'habitude. Je sortais discrètement par la porte d'entrée et m'avançait pieds nus dans l'herbe mouillée sous le auvent. Les grosses rafales d'eau atteignaient mon pantalon mais j'avais le reste du corps bien à l'abri. J'observais en silence la prairie d'élevage en train de disparaître, je ne reverrais probablement plus jamais ces dragons que j'ai vu naître et grandir, et il y avait quelque chose, un sentiment que je n'arrivais pas à décrire.

J'entendis « Egbert » à l'intérieur de la maison, mais ils étaient probablement en train de parler de trucs d'adultes, donc ça ne m'intéressait pas plus que ça de savoir de qui il s'agissait. Après plusieurs minutes je n'osais pas revenir à l'intérieur et je commençais à avoir les mains et les pieds gelés, mais ils avaient l'air de se disputer, s'ils me surprenaient hors du lit maintenant, ça allait me retomber dessus. J'ai cru discerner les mots « famille �� et « coucher », je crois qu'ils n'allaient plus tarder à aller dormir, mais au moment où j'allais ouvrir la porte, il y eu un BANG suivi d'un « POURQUOI TU NE M'EN AS PAS PARLÉ » qui venait sans aucun doute de mon père, l'un des deux devait avoir frappé du poing sur quelque chose tandis que ma tante prononça mon nom, j'espérais juste qu'ils n'étaient pas en train de se battre à mon sujet… Et maintenant, il n'y avais plus aucun bruit… Est-ce qu'ils avaient fini ? Bon sang, qu'est-ce qu'ils ont ? Qu'est-ce que j'avais fait ? À présent j'entendais des messes basses. J'en profitais pour me glisser par l'interstice de la porte et retournais dans ma chambre le plus discrètement possible pour me glissais dans mon lit. Je fermais les yeux aussitôt, je ne pouvais m'empêcher de pleurer en pensant à la punition que j'aurais le lendemain.

Il était aux alentours de six heures quand je m'étais réveillé, lavé et habillé, je mangeais mon petit déjeuner dans le silence complet. Je craignais les représailles d'hier soir mais personne n'était encore levé. Peut-être qu'ils attendaient un certain moment ? Je préférais commencer à m'occuper des tâches ménagères pour me faire pardonner quoique j'ai fait. Je nettoyais la cuisine de fond en comble à l'huile de coude, chaque carreau des comptoirs était récuré, le tapis à motif de dragon du salon avait besoin d'être raccommodé mais comme je ne savais pas coudre, je préférais éviter un désastre et je contentais de le secouer dehors. Je redescendais les trois petites marches du salon pour le dérouler entre les deux canapés qui ne servaient presque jamais. Je retirais les cendres de la cheminée de cet hiver pour les répandre dans le jardin, le vieux fermier m'avait appris qu'elles étaient très utiles pour les potagers, je ne comprenais pas pourquoi ils ne le faisaient jamais.

J'avais fini de laver le bureau à la toile, le couloir poussiéreux d'hier était impeccable, il ne restait plus que les deux chambres, mais m'y aventurer déclarait mon arrêt de mort. Ménage ou pas. Il était maintenant neuf heures, j'entendais des bâillements dans les deux pièces qui entouraient la mienne, ils avaient probablement veillés tard contrairement à d'habitude, j'espère juste que le sujet de discussion ne concernait pas ma punition… Ma tante ouvrait et fermait ses tiroirs et mon père semblait faire sa toilette, je sentais une boule dans mon estomac qui grossissait au fur et à mesure que j'attendais patiemment qu'ils sortent.

Ils s'installèrent tous les deux à table, pendant que je dessinais Vaporos, de mémoire, enfoui au fond du canapé. Ils n'avaient pas l'air de remarquer la nouvelle propreté, j'avais tellement travaillé sur chaque coin… J'appréhendais le verdict mais ils ne se pressaient pas de cracher le morceau, ils voulaient me faire attendre jusqu'à l'angoisse ? Mais j'étais sensé ne pas être au courant…

À dix heures, les deux étaient sortis et concrètement, je ne savais plus quoi penser. Pas de hurlements, pas de punition, rien. Est-ce qu'ils avaient changé d'avis ? Je n'avais aucune idée de quoi faire de ma journée à part rejoindre mes amis, personne ne savait comment se déroulait la chasse, en réalité, personne n'en savait rien avant qu'un des chasseurs ne revienne conter son aventure. Il pouvait y avoir cent morts comme aucun, la forêt pouvait devenir un cimetière sans qu'on soit au courant. Et parfois ça durait des mois.

Le reste de la journée, j'avais pu m'éclipser de la maison, je préférais rester loin d'eux au cas où la tornade décide de me tomber dessus. Mais alors que je me promenais en ville, je tombais sur Owen, le fils de Yuvan. Qu'est-ce qu'il faisait là ? Il n'était pas parti chasser ? Son père se vantait tellement que son fils irait ramener des dragons cette année, MES dragons. Le regard mauvais, je décidais de le suivre. L'épicerie, une boutique de vêtements, une allée... rien de bizarre. Mais alors pourquoi il était là ? Est-ce qu'il avait abandonné ? Il avait peur de la mort ? Il tourna la tête subtilement, il savait que j'étais là. Je sortais de ma cachette tandis qu'il s'approchait de moi, un sac de cuir chargé sous le bras.

- Qu'est-ce que tu cherches, pourquoi tu me suis, Ewevs ?

- Rien du tout, je voulais savoir pourquoi t'étais pas dans la forêt avec les autres, quitte à être pris la main dans le sac, autant lui demander directement.

Il soupira en passa sa main dans ses cheveux pour remettre ses mèches châtaines.

- Écoute, je veux pas être désagréable avec toi mais ça te regarde pas.

Je le regardais partir sans un mot, son comportement était différent de d'habitude. C'était plutôt le genre de personne qui n'écoutait pas ou ne faisait attention à personne, pourquoi d'un coup il paraissait si… poli ? De toute façon pourquoi je m'en préoccupais, je ne lui avais jamais parlé.

Je déambulais çà et là, j'étais descendu tout en bas de la montagne mettre les pieds dans l'eau du lac. Tous mes copains étaient en train d'apprendre des choses avec Madame Riverantess, mais moi, c'était ma tante qui m'enseignait tout, notre ville était trop petite pour avoir une vraie école et on était peu d'enfants. Si je me disputais avec un seul d'entre eux, j'étais obligé de m'excuser aussi sec pour encore avoir quelqu'un avec qui jouer. Mais c'était tous des orphelins, à part Nessiah, ils allaient tous partir un jour. Et je n'aurais plus personne à qui parler à part mes bêtes.