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Chapitre 3 : La frontière

"Il est parfois étrange de constater que bien que d'apparance brutal et chaotique, la nature sauvage est pourtant réglée aussi méticuleusement que le serait la partition d'une musique classique."

Aïma cherchait son orientation au sommet des arbres, tandis que son nouvel ami se contentait de la regarder avec un air hébété, curieux de voir la prochaine action qu'elle entreprendrait. Heureusement, Aïma ne manquait pas d'astuce lorsqu'il s'agissait de trouver des solutions. Ainsi, même dans ce vaste océan végétal, elle savait comment trouver sa voie. En effet, le soleil serait son guide. Une fois qu'elle l'apercevrait, elle saurait distinguer l'est de l'ouest. Quant au nord, elle trouverait certainement quelques espèces familières des frontières humaines, ou au contraire, celles peuplant plus aisément les profondeurs de la forêt. Connaissant le rythme migratoire de certaines espèces volantes de la forêt, elle se ferait vite une idée de la situation, et les repérer de loin ne serait pas un problème.

Ayant toujours faim, son ventre criait famine, et peut-être par bienveillance, elle se dit que son ami aussi pourrait avoir envie de festoyer autour d'un bon repas avant de reprendre la route. Cependant, elle ne repéra aucune proie, la forêt semblait toujours aussi silencieuse, effroyablement silencieuse et dense. Pourtant, cela n'empêcha pas la rôdeuse, n'écoutant plus que son ventre, de faire une sacrée trouvaille, car rien d'autre que quelques fruits juteux qu'elle aurait pu reconnaître entre mille ne poussait non loin de là. Elle les reconnut, car ces fruits, à l'apparence de poires tachetées de noir mais à la peau blanche et râpeuse, poussaient fréquemment aux abords de son village. Bien qu'habituellement les villageois préféraient les utiliser pour nourrir les troupeaux de Rhenfroces, de gigantesques animaux dont le crâne long et aplati ressemblait à un bouclier noir et orangé en son centre. Ces animaux paisibles, calmes et dociles, qui aidaient bien les paysans, raffolaient de ces fruits en forme de poire qu'étaient les Rhens. C'est pourquoi les paysans les avaient surnommés "mangeurs de Rhens", Rhenfroces.

Aïma avait déjà eu l'occasion d'en manger par le passé, séduite par la douce acidité suivie d'une pointe de délicatesse, sucrée et tendre. Elle ne pouvait s'empêcher de saliver rien qu'à l'idée d'y goûter. C'est pourquoi elle n'hésita pas à sauter non loin des branches qui contenaient ces précieux trésors. D'ailleurs, Ego, imitant toujours ses gestes, participa à la collecte. Elle eut un instant l'impression d'avoir enfin réussi à communiquer avec lui. Alors, elle prit un fruit dans ses mains et lui montra comment l'ouvrir, car la peau durcie était la partie la moins savoureuse du fruit. Il fit de même, bien que comme d'habitude, son habileté laissait à désirer. D'ailleurs, il manqua plusieurs fois d'écraser le pauvre fruit. Aïma aurait bien grondé Ego pour ce gâchis, mais dans une telle situation, il lui rappelait, avec son air innocent, le jeune bétail qui tentait de récupérer les fruits trop mûrs tombés au sol.

Suite à son méfait, elle prit son élan pour mimer de larges gestes et porta les agrumes à sa bouche afin de lui montrer qu'ils sont comestibles. Ego tenta alors à son tour cependant, comme vous vous en doutez, celui-ci ne possède aucun système digestif. Ses savants concepteurs ayant préféré le doter d'un système de pile à longue durée. De plus, cette pile n'était pas la seule source d'énergie du robot, il possédait la capacité de recycler la chaleur résiduelle de son environnement ainsi que sa propre surchauffe afin de limiter son entropie, sa perte d'énergie. Enfin, rien de bien pratique dans ce genre de situation sociale où, au contraire, le but est de faire tout son possible pour répondre aux normes de l'hôte. Ego leva les bras, pris son élan et écrasa le fruit sur son visage en imitant Aïma du mieux qu'il le pouvait. La rôdeuse, en colère, écrasa sa main sur son crâne dans un geste de frustration et d'incompréhension. Le robot, bien sûr, naïf, continua de l'imiter, répandant d'autant plus le fluide juteux du fruit de Rhen sur son corps.

Elle dit: 

« Tu es vraiment trop idiot !». 

Tentant alors de garder son sang-froid afin d'avoir l'air sérieuse pour réprimander ce vilain garnement, le robot releva la tête et répéta, démontrant ses paroles :

« tu es vraiment trop idiot » sur un ton semblant rieur.

Aïma ne pouvait plus se contenir, incontrôlable, elle riait aux éclats. Ne sachant que trop bien que son interlocuteur se contentait de l'imiter. Cependant, la manière caricaturale dont il s'y prenait et le ridicule de la situation rendaient la scène bien trop absurde pour garder son sérieux. Comment ne pas lui pardonner ? De cela, elle conclut cependant que s'il pouvait prononcer des sons similaires à sa langue, alors peut-être qu'il pourrait apprendre, mais hors de question de lui confier plus de fruits. Aïma les réquisitionna d'un geste autoritaire et cette fois, étrangement, dans sa plus grande sagesse, le robot ne l'imita pas.

Après quelques instants de repos non démérités et fort agréables, Aïma décida qu'il était temps de se remettre en mouvement, consciente que ce ne pouvait être dans l'inaction qu'elle trouverait son salut. Dans les chemins boisés, Ego avait une grande difficulté à naviguer entre les branches des arbres. Cependant, Aïma lui laissait le temps de la rattraper lorsqu'il en avait besoin. Armée d'une patience dont elle ne se reconnaissait pas d'elle-même, elle prenait plaisir à l'observer. Aïma, qui à son habitude, était têtue et solitaire, commençait à se faire à la présence du robot qui, quelque part, la rendait presque nostalgique de sa propre enfance. Époque durant laquelle elle était doucement bercée de son insouciance par la légèreté du cocon familial, bien loin d'ici, isolée de la brutalité de sa vie actuel. Ils naviguèrent sur des centaines de mètres avant de commencer à entendre de nouveau les bruits sauvages presque oubliés des animaux de la forêt. C'était un bon signe selon la rôdeuse, qui pensait même reconnaître quelques arbres. D'ailleurs, toujours à l'affût, elle ne tarda pas à apercevoir une proie. Un jeune mais majestueux Bradams aux longs bois blancs ondulés et surtout, un Bradams isolé. Aïma pensa à haute voix :

« Quelle aubaine. La déesse me sourit enfin ».

Aïma sortit une flèche, l'encocha et brandit son arc, prête à tirer quand soudain l'être de métal se mit devant, tonnant à haute voix des mots incompréhensibles sur un ton grave :

« Vie en danger, vie en danger !» .

La rôdeuse, surprise par la vivacité de son geste, tomba des hauteurs. Le robot se jeta pour l'attraper. Il absorba le choc, protégé par sa lourde armure. Aïma, elle, le corps endolori, se releva avec peine pour se rendre compte qu'elle était maintenant nez à nez avec sa Némésis. Un Gremörn, non, le Gremörn, celui qui l'avait fait courir paniquer à travers toute la forêt, celui qui avait manqué de la tuer. Elle le reconnaissait facilement, son visage était encore marqué dans sa mémoire comme indélébile. Aïma paniqua, elle courut le plus vite possible au hasard, espérant lui échapper, ne pensant à rien d'autre. Ses yeux étaient larmoyants, elle se demandait ce qu'elle avait fait aux déesses pour qu'elle s'acharne ainsi sur son triste sort. Le robot, lui, se redressa tranquillement, tout en continuant de tonner ses bruits inaudibles résonnants maintenant dans toute la forêt. Le Gremörn marqua un arrêt. Jamais il n'avait vu un animal lui faire face et cela semblait le troubler grandement. Aussi, la bête qui se trouvait sous son nez n'avait l'odeur d'aucune chose qu'il connaissait, aucune choses si ce n'est les fruits des Rhen qui parfumait encore Ego enduit de leur huile. Trop fier pour se laisser intimider, ou bien trop imprudent, il passa à l'assaut.

Le robot inerte, lui, ne bougea pas. Ni avant, ni après que l'animal n'ait refermé sa grande gueule infernale, couvrant presque l'intégralité de son corps. Tout à coup, Ego, comme pris d'un éclair de génie, sembla réagir et changea de discours. Il ne disait plus : « Vie en danger, vie en danger ! » mais : « Danger ! », bien que la différence fut subtile pour son auditoire. Aïma, elle, comprit vite la différence. Car l'être de métal se dégagea de cet endroit lugubre qui ne sollicitait aucunement sa curiosité, d'un geste aussi étonnamment habile qu'absurde aux yeux de tout être humain soumis à une physique rigoureuse. Le robot semblait se tordre dans tous les sens et tenir sur des points d'équilibre défiant toute logique, profitant de la force de son accélération comme d'un membre à part entière. En bref, il prit ses jambes à son cou. Se déplaçant beaucoup plus vite qu'Aïma, épuisé, il la rattrapa sans effort et l'attrapa en plein vol. La rôdeuse surprise se débattait, mais sa lutte semblait bien vaine face au mastodonte d'acier venu d'ailleurs.

Le robot parcourut ainsi une très longue distance. Sûrement des kilomètres, durant lesquels Aïma ne put s'empêcher de remarquer l'odeur parfumée du liquide extrait des Rhems. Après quelques minutes seulement, Aïma avait abandonné le combat. Bien trop fatiguée, elle s'était endormie. Quand elle se réveilla, ils étaient à la frontière de la forêt. La machine l'avait déposée dans une plaine, à un endroit dont l'horizon était largement dégageait des arbres d'Arborameth.

Ego, lui, toujours présent, semblait surveiller les alentours là, à l'ombre d'un arbre. Il était immobile. Reprenant son souffle, Aïma vit au loin l'ombre vacillante des remparts de Nomera, l'une des plus grandes villes de la province d'Eseka. Elle aurait préféré pouvoir rentrer chez elle à Tenera, mais la vision d'une ville humaine la rassurait grandement. Elle souffla, relâchant ainsi tout le stress de sa journée, comme celui des précédentes, tout en se promettant de ne pas remettre les pieds dans cette fichue forêt avant un long moment. Promesse qu'elle se faisait d'ailleurs à chacun de ses retours. Enfin plus apaisée, elle décida qu'il était plus que temps de prendre sa revanche sur l'élément perturbateur qui avait osé la soumettre à toute cette épopée. Elle insulta alors le robot des mots les plus médisants qu'elle connaissait. Le robot, lui, se contenta, comme à son habitude, de l'observer avec toujours cet air idiot sur le visage. Il semblait feindre de ne pas comprendre la colère de sa victime, qui s'énerva alors d'autant plus.

Pensées du robot :

Langage N 002, apprentissage estimé : 1%

Analyse en cours.