1 LE SENKAIMON

Dans les Plaines arides de Dérethor, la Coalition des trois clans, se regroupe pour préparer leur attaque contre la République Morningstar. Menés par leurs chefs, Olive, Neemboo et Takasaal, les soldats se tiennent prêts depuis plus de vingt minutes, et attendent l'ennemi sous une chaleur étouffante…

_ Toujours aucun signe ? Ah c'est pas vrai ! Mais qu'est ce qu'ils foutent ? S'impatiente Olive.

_ Ils sont là. Répond Takasaal en regardant ses panneaux holos.

_ Enfin ! Préparez-vous à vous battre ! S'exclame Olive.

La zone de combat change sensiblement, annonçant l'arrivée imminente des combattants. L'air se charge d'une atmosphère lourde, le vent disparaît presque.

Les coeurs et les âmes de la coalition, résonnent à l'unisson. Rien ne peut se mettre en travers de leur chemin. Sauf que…

_ Mais qu'est ce que…

_ … C'est que cette…

_ … Merde…

Les silhouettes traversant le brouillard de sable se révèlent et l'ennemi est là : une armée de… Cinq combattants.

_ Vous n'êtes pas sérieux… Seulement cinq… Ou est votre armée ?

_ Hihihi ! C'est nous l'armée mon gars. Répond une semi-louve aux cheveux verts.

_ Nagisa, on tape pas la discute avec l'ennemi. Faut te le répéter combien de fois, gamine ? Réplique un samouraï à ses côtés.

_ Je suis pas une gamine ! S'énerve Nagisa.

_ Dis ça à tes piqûres de moustiques…

_ Crétin ! Réagit Nagisa les larmes au yeux.

_ Ace… Stop, avertit une elfe en armure délicate.

Ils se disputent sous le regard perplexe des trois chefs, comme si de rien n'était. Sérieusement ? Cette bataille est pourtant cruciale pour Morningstar.

Neemboo allait s'emporter quand il réalisa enfin.

Ce n'étaient pas des inconscients face à eux. Ils n'étaient rien de moins que les Cinq Gardiens.

Nagisa la princesse noire, Hughes le dragon de jade, Ace aux sabres foudroyants, Lelouch le Laurier Rose, et… The Reaper !

Cinq mercenaires élevés au rang Mythique, réputés, et plus, pour n'avoir jamais connu la défaite. Quand on faisait appel à eux, on n'avait plus à se soucier de rien.

Les cinq gardiens, chacun maître de sa classe et valant dix milles hommes sur le champ de bataille…

Olive avait elle aussi compris contre qui elle allait se battre. Mais sa voix ferme, en accord avec son apparence de semi-géante brisa le silence.

_ Takasaal, Neemboo vous êtes avec moi ?

_ Les Martinis n'ont jamais fuit une bataille, c'est pas aujourd'hui que ça va changer, répondit Neemboo.

_ Il a raison, il en va de notre honneur. Aucun abandon ne sera toléré. Nous avons uni nos trois clans ! On va les écraser, je vous en donne ma parole !

Dans un unique cri de guerre, cent milles combattants se ruent sur les cinq Gardiens. La plaine devient alors une marée vivante et furieuse, dont les lames se lèvent pour fendre l'ennemi. La bataille commence.

_ Une coordination exemplaire. Mais parfaitement inutile, j'en suis désolée…

Lelouch s'avance, et sort ses lames blanches. Un vent étrange tourne doucement autour d'elle, tandis que l'on peut entendre : Jasmine… Blade Storm.

L'attaque est fulgurante. Les soldats n'ont pas le temps de comprendre, pas le temps de se protéger, encore moins de riposter. En quelques secondes, le champ de bataille connaît ses premières victimes. Et elle se traduit par une mare de sang et de viscères.

Les soldats ont un mouvement d'arrêt, presque de recul, alors que les trois chefs regardent, interdits leur armée se faire décimer.

Ayant oublié leur différend, Ace et Nagisa entrent en scène, dans une danse mortelle. Ils n'ont pas laissé les soldats s'en remettre, ils prennent chacun une faction, et activent leurs pouvoirs. Des milliers d'autres combattants tombent, l'épée encore au fourreau.

Au cœur du chaos qui s'éveille, les chefs de la coalition hurlent leurs ordres, et décident de se concentrer sur un seul ennemi, le seul à l'apparence humaine dans le groupe. La cible sera l'un des hommes, un flaw, visiblement. Un adversaire avec un handicap, mais qui démontre de grandes capacités. Et Hugues est aveugle.

_ Quel honneur pour moi, se dit le dragon de Jade en comprenant qu'on l'attaquait.

_ Ne le sous-estimez pas, hurla Takasaal.

_ Nous serons sans aucune pitié, Dragon de Jade, lui rétorque Olive. On sait bien que c'est toi le plus fort ! À l'attaque !

_ Veuillez m'excuser, mais… Dis Hughes en dégainant son sabre. Vous faites erreur.

Le vent souffle de nouveau, entourant Hughes. Une formule parcourt les rangs. Millenium... Blade.

Hughes porte alors une multitude de coups à une vitesse surhumaine.

_ Le plus fort ce n'est pas moi, dit-il en rengainant son sabre. C'est lui.

Il se courbe, saluant ses adversaires qui explosent alors, ayant tout juste le temps d'apercevoir The reaper derrière l'aveugle.

Le reste de l'armée a assisté, décontenancée, au massacre des siens. Ils n'ont pas le choix. Comme un seul homme, ils chargent The reaper, tandis que les quatre autres gardiens assistent à la scène, à l'écart.

Calme face à l'avalanche qui arrive dans sa direction, The Reaper semble presque ne pas avoir remarqué l'armée. Il reste immobile face à eux. De son corps, seuls ses yeux rouges sont visibles. Son grand manteau flotte au gré du vent sablonneux.

L'armée est proche. Il s'agit encore de plusieurs milliers d'hommes animés par la force du désespoir. Et alors que la masse monstrueuse de soldats allait l'atteindre, le vent fait entendre deux mots.

No pain…

Une faux immense lui apparaît dans la main et un long manteau sombre le recouvre.

Wind… Of the death.

A ces sons, le vent se met à tourner. Une énergie immense émane de lui, et traverse la foule. En un battement de cils, les quatre-vingt milles soldats se sont retrouvés à terre.

Dans le silence qui règne alors, la faux et le manteau disparaissent pour lui rendre son apparence.

Toujours aussi impressionnant, se disent les autres.

À la fin de la bataille, un écran lumineux s'affiche au-dessus de leurs têtes.

_ « Maître de la Mort », pas mal, rétorque Ace. Je savais même pas que ce niveau existait !

_ Tu l'atteindra peut-être d'ici vingt ans, se moque Lelouch.

Elle taquine le guerrier, mais elle-même est au moins trente niveaux sous The reaper. Ils le sont tous. Nagisa détourne la conversation.

_ Dites ! On va fêter ça ? Demande la jeune fille toute excitée.

Le groupe, plutôt partant, se tourna vers The Reaper dans l'attente de sa réponse. Il déclina timidement et se déconnecta pour retrouver sa chambre…

_ Et merde… Dit-il après avoir retiré son DSU.

Les sensations artificielles de chaleur, de vent sur sa peau, se dissipent. Il se lève de son lit, et va à sa fenêtre contempler la cité rougie sous le coucher de soleil.

Comme un éternel enfant, il s'émerveille, puis aperçoit son reflet. Sa mine s'assombrit lorsque son regard se pose sur le médaillon autour de son cou. C'est douloureux de se souvenir. Mais il refuse de l'enlever. Il se met alors à le fixer, perdu dans ses pensées, quand une voix synthétique l'interrompt.

_ Voici votre verre « post-party » Master... Master ?

L'androïde penche la tête tandis qu'il tient un plateau avec une coupe de lasci reconstitué posé dessus.

_ Pune, appelles moi Kumail ça ira très bien, soupira le jeune homme, insistant pour la énième fois. Si tu continues je vais devoir te retirer ta carte de libre arbitre pour te forcer à le faire. C'est bien le truc bleu à côté de la batterie ?

_ Il s'agit de mon système d'exploitation… répondit Pune en ne saisissant pas le second degré. Et sauf votre respect, vous êtes l'hôte de cette endroit, répondit inlassablement Pune, têtu. Ce qui en fait de vous le maître, ainsi que le mien.

_ Et en temps que tel, je prône l'égalité dans cette maison.

_ Cela signifie-t-il que j'ai les mêmes droits que vous ? Demanda Pune.

_ Exact.

_ Bien, vous appeler par votre prénom me fait me sentir mal à l'aise, inconfortable. Voulez-vous donc me forcer à le faire malgré tout ?

_ Pune t'es un robot, tu ressens pas ce genre de chose, maugréa Kumail.

_ Certes, mais mon système peut reproduire une synthèse simplifiée des sentiments humains. Cela veut donc dire que…

_ Ça va, ça va… Va pour Master.

_ Je vous en remercie. Vous étiez encore perdu dans vos pensés. Est-il arrivé quelque chose durant votre party ?

_ Non rien.

_ Vous avez encore refusé de passer du temps avec vos amis ?

_ Ce ne sont pas mes amis…

_ Sauf votre respect, Master, c'est ce qui s'en approche le plus. En dehors d'eux, vous n'avez personne.

_ Je t'ai toi, répond Kumail.

Il l'avait même récupéré pour ça, d'ailleurs. Pune était un robot très endommagé, sans jambes, mais toujours avec ses circuits et son centre IA. Avec beaucoup de chatterton, un raccordement au système de vol d'un drone et une bonne peinture, il en avait fait son robot personnel. En secret, il n'était pas censé en avoir un.

_ Je ne suis pas une « personne », ce serait une erreur que de me prendre en compte dans cette statistique.

_ Je sais, je sais. Mais j'ai pas le temps de faire copain-copain. J'ai des choses à faire… Dit-il en tenant son médaillon.

Il serre la relique entre ses doigts, cherchant à en imprimer chaque détail dans sa mémoire.

_ Master, pardonnez-moi, mais vous laisser le temps de vivre, ne vous empêchera pas de continuer à chercher ce qui est arrivé à votre peuple. Je suis sur qu'ils compre…

_ Ça suffit, Pune. S'il te plait.

_ Bien, Master.

_ Je vais aller prendre un bain, je suis fatigué. Préviens moi quand le dîner sera prêt.

_ Bien sur, Master… Réponds Pune en regardant Kumail partir.

Le jeune homme se regarde dans le miroir de la salle de bain, en appui sur le lavabo.

_ Obcy, murmure-t-il.

Obcy. Obcy c'est l'étranger, l'intrus, l'exclu, tout ce qui n'est pas en accord avec la société est considéré comme un Obcy.

Obcy parce qu'il vient du peuple Garvet.

Autrefois nommés « Indiens », ils ont mystérieusement disparu lors du sauvetage de l'espèce humaine, il y a plusieurs siècles. La seule chose que Kumail a hérité d'eux, est son vieux médaillon usé par le temps. Il est un des rares à être toujours sur Terre. Placé dans la cité de Midgard, il est presque un alien aux yeux des autres, il dérange, il rappelle à lui seul un évènement trop étrange, qu'on préfère oublier. Alors pour ne plus subir le rejet presque instinctif des autres, il s'isole.

Et plonge à outrance dans le rêve éveillé.

Les jeux actuels offrent plus qu'une immersion. Ils offrent des sensations presque réelles. Des pouvoirs qu'il faut maîtriser, et non plus seulement acquérir en accumulant des points, comme autrefois. Et Kumail, s'il n'est personne aux yeux des autres étudiants de son lycée, devient une légende une fois dans le jeu.

L'horloge émet un son clair, indiquant le repas.

Kumail soupire, et rempli la baignoire.

Il se réveille après un cauchemar, comme d'habitude. Il n'arrive jamais à s'en souvenir mais une sensation de malaise perdure à chaque fois.

Comme s'il avait survécu à une explosion. Il sent son stress se changer en force, le plongeant un moment dans une totale confiance en lui, avant que l'impression ne se dissipe. Comme s'il avait pu être lui-même pendant quelques instants…

_ Bonjour Master.

_ Bonjour, Pune.

_ Vous n'avez pas dîné, hier soir.

_ Non, je suis parti dormir après mon bain.

_ Vous êtes vous bien reposé ?

_ Oui…

_ Encore un cauchemar ?

_ Je t'ai dis que j'avais bien dormi, tranche Kumail.

_ Très bien…

_ Ça va être l'heure, j'y vais.

_ Vous devriez rester, Master. Vous ne semblez pas heureux à l'extérieur.

_ Le monde est comme il est, Pune. Et je ne trouverais jamais les réponses à mes questions, en restant ici à me tourner les pouces.

_ Bien, Master…

Kumail sort de la résidence scolaire pour se rendre au lycée. Arrivé au portail, il ressent déjà l'envie de faire demi-tour malgré le beau temps qui s'annonce. Il sent les regards des gens qu'il croise sur lui, et c'est comme ça à chaque fois…

Il feint l'indifférence, et s'enfonce tellement dans ses pensées qu'il ne la remarque pas sur son chemin, et passe devant elle. La jeune fille aux yeux améthyste reste interdite, peinée. Elle trouvera un moyen de lui parler.

Assis à sa place habituelle près de la fenêtre, n'écoutant que d'une oreille le professeur leur expliquer les subtilités des circuits électroniques en langue commune, Kumail se perd dans ses pensées.

Le regard porté au loin sur la cité, il essaye de voir ce qu'il y a au delà. Ou peut-être de l'imaginer. Un endroit où il aimerait vivre. Où même son futur métier ne serait pas décidé à sa place.

Il lui semble qu'une éternité se passe avant qu'il n'entende la sonnerie du midi. Son frobse est sûrement avarié, il n'a plus le goût de… poire, lit Kumail sur l'emballage. C'était ça, ou des protéines déshydratées, c'était tout ce qu'il pouvait se permettre d'acheter. Si au moins il avait un petit boulot, il pourrait au moins manger correctement, seulement il ne peut pas se permettre de rater sa scolarité. C'est son statut d'étudiant qui lui garde son toit au-dessus de la tête. Il avait hâte d'en sortir, se dit-il en terminant son fruit-biscotte. Avec l'entrain d'un poulet mort, part affronter le reste de sa journée.

Paradoxalement, rentrer est une véritable bouffée d'oxygène. Il grignote ce que Pune lui a préparé la veille, et retourne immédiatement se connecter.

Eveillé, c'est maintenant que commence sa vraie vie pour lui. Il se fond dans son personnage, ressent le vent, hume l'odeur de la poussière, se délecte de la morsure du soleil sur sa peau. Ici, il est The reaper. Ici, il peut laisser sortir sa frustration et laisser s'exprimer son lui véritable. Il gravit, presque enfantin, une colline, et après un sourire incontrôlé, lance plusieurs attaques massives, juste pour se déchaîner. Il n'y a, à sa connaissance, plus personne de suffisamment haut en grade pour lui donner un véritable challenge. Ce n'est pas pour autant qu'il déprécie ce qu'il sait accomplir. Il finit par concentrer sa force pour aller au bout de ses limites.

Son pouvoir tremble entre ses mains, il tressaute, il est presque difficile de le contrôler, mais Kumail est confiant. Quand il le libère, lui laissant prendre la forme qu'il désire, comme une entité vivante, il comprend qu'il est parvenu à figer le temps. Une belle nouveauté, se dit-il, fier de lui.

Il allait retenter avec peut-être, un résultat différent, mais il reçoit un message. Une offre de mission pour son soutien dans la défense d'une cité contre des monstres de hauts niveaux. C'est généreusement payé, Kumail accepte.

Il se téléporte près de la cité grâce à un item placé dans le message. À première vue elle ne lui dit rien. C'est bizarre, il connaît les moindres recoins de ce monde… ça doit être une mise à jour se dit-il. Il se dirige vers la cité, quand son aura détecte des ennemis en approche. Il invoque un familier et examine ce qui l'entoure. Il fronce les sourcils en constatant que l'armée est déjà là. Ce qui signifie que sa mission est un piège. Fais chier, pense Kumail en se préparant au combat.

Kumail fonce dans la masse, confiant. Il découpe, brûle, gèle, désintègre. Il expérimente toutes ses capacités et s'amuse comme un enfant jusqu'à l'arrivée du général.

Une simple analyse, et ses panneaux lui indiquent qu'il est de niveau Maître de la mort, le même que le sien.

Il tente alors de reproduire ce qu'il a fait quelques minutes plus tôt, arrêter le temps. L'autre lui laisse même préparer son pouvoir sans broncher, au milieu du charnier qu'à causé Kumail.

Mais alors qu'il allait la lancer, le général annule automatiquement cette capacité. Kumail fronce de nouveau les sourcils, et pour la première fois, il doute.

Puis il esquive à une vitesse folle. Le général semble maîtriser son niveau depuis un moment, et lance attaque sur attaque. Kumail vient juste d'y accéder, et cherche encore comment se défendre, essayant de ne pas prendre trop de dégâts. Le général enchaîne les coups. Kumail doit réfléchir et vite.

Il esquive à nouveau, lance ce qu'il parvient à créer au hasard, sans résultat. Et sans qu'il comprenne lui-même pourquoi, il s'arrête subitement, sentant quelque chose monter en lui... Il ouvre les yeux qu'il n'a pas eu conscience d'avoir fermés, regarde le général.

Mort.

Il n'y a qu'un énorme cratère autour de lui sur des kilomètres à la ronde. Que s'est-il passé ? Une sensation de malaise le prend alors.

Il intercepte cependant une flèche qui allait se ficher dans son cœur. Honnêtement, à son niveau, c'est aussi dangereux que si on lui avait lancé une nouille cuite. Mais il ne parvient pourtant pas à trouver l'archer. Encore un novice qui a voulu tenter sa chance en croyant qu'il serait vulnérable après le combat, se dit-il. Il tente de faire analyser la flèche, mais une fumée en sort, sans pour autant lui asséner de dégâts. Vraiment, ce type devrait faire réviser son matériel…

_ J'écoute ?

_ Sir Arexy, je pense avoir trouvé celui que vous recherchez.

_ Je ne tolérerai pas un autre échec, Manan.

_ Croyez-moi, vous ne serez pas déçu.

_ Très bien, entame le processus.

_ Bien monsieur.

Manan ferme son panneau de communication, et range son carquois. Une bonne prise pour aujourd'hui !

La fin des cours sonne, Kumail range tranquillement ses affaires quand son poignet émet une légère vibration. Il a reçu un mot d'une certaine Asaria semble-t-il. Et plus précisément une lettre d'amour. Ah ? Il devrait s'en occuper, pense-t-il, conscient qu'il cherche une excuse pour ne pas rentrer.

Ça fait une semaine qu'il ne s'est pas déconnecté. Le combat contre le général l'a mit mal à l'aise, il n'est pas parvenu à s'expliquer ce qu'il s'est passé. Il est quand même curieux de savoir qui est cette fille. Et surtout comment elle doit se sentir de s'être sûrement trompée de destinataire, se dit-il, mi-amusé, mi-embarrassé.

Alors qu'il s'assoit à la cafétéria, le lieu de rendez-vous, Kumail remarque deux jeunes filles de son âge l'observer, puis se lever pour venir à sa rencontre… Il n'a aucune idée de qui elles peuvent bien être. Il tente de paraître détaché quand il leur adresse la parole.

_ Asaria ?

_ Oui, répond la plus petite, très timide.

Derrière une rousse sportive qui respire la confiance en elle, sort son amie. Elle est petite et ronde, et bien qu'elle soit habillée et coiffée de manière discrète, elle a des yeux absolument magnifiques et rares, couleur améthyste.

_ Désolé… Arh… C'est plus gênant que je le pensais, Dit-il avec un sourire. Je pense que tu as dû te tromper, ça arrive c'est pas…

_ Non, en fait… Coupe Asaria, avant de chercher ses mots.

Le jeune homme fronce les sourcils, confus, attendant qu'elle parle. Qu'est ce que je fous ici se dit-il.

_ Est ce que tu… Tu… Tu ve…

Asaria s'arrête d'elle même, et ferme les yeux pour s'éviter la vision qui s'offre soudainement à elle. Kumail, serrant les poings sans bouger pour autant, recouvert de déchets. Elle reste pétrifiée tandis que deux terminales se marrent derrière lui, tenant encore la poubelle de la cafétéria.

_ Voilà, t'es mieux comme ça Obcy. Qu'est ce que t'en penses Maare ? Dit le plus grand des deux.

_ Haha ! Ah ouais grave ! Rétorque la jeune fille qui accompagnait Asaria.

_ Obcy ! Pourri ! Obcy ! Pourri ! Chantent-ils en choeur avec euphorie sous le regard médusé d'Asaria.

Ils repartent immédiatement après, en riant, laissant Kumail livré à lui-même, le regard vide. Sans un mot, il retire les restes de nourriture de son visage, se lève et s'en va. Ce n'était pas comme s'il n'était pas habitué à ce genre de traitement.

Asaria n'ose pas réagir. Elle regarde sa meilleure amie et les deux plus âgés qui se sont servis d'elle pour une farce cruelle. Elle reste figée tandis que Kumail s'éloigne, et serre sa mâchoire.

Quels connards… Ils feraient moins les malins de l'autre côté de l'écran. Aah ! La vie réelle ça craint ! Encore un an… Ils verront c'est qui l'Obcy…

Kumail ronchonne depuis vingt minutes tandis qu'il marche au hasard des rues. Il a lavé une partie de son humiliation dans le cleaner du lycée. Mais il ne peut pas rentrer tout de suite. Il a beau essayer de cacher ses émotions, ce n'est pas pour autant qu'il n'en a pas. Il doit se calmer, laisser sortir sa colère, parce que là, sa seule envie est de tordre lentement les doigts de ces deux enfoirés jusqu'à ce qu'il entende tout craquer.

Les rues passent, le vent glacé accompagne la nuit qui commence à tomber… et il se prend à rêver comme trop souvent. Devenir le numéro Un, le rester, battre tous les records. Montrer à tous ces connards de quoi il est réellement capable. Il sera enfin respecté.

Plus il y pense et plus son mépris pour l'école se fait ressentir. Il veut laisser tomber sa scolarité. Se consacrer au virtuel. Mais comment pourrait-il arrêter l'école sans être à la rue ? Il pourrait… Il Pourrait…

Au fait, il était où là ?

En voyant le décor s'obscurcir il réalise qu'il a marché jusqu'à la nuit sans avoir la moindre idée d'où il s'est rendu. Il s'arrête au milieu de la rue. C'est malin, il fait noir, maintenant. Il tente d'activer les fonctionnalités de son homophone, mais il n'a pratiquement plus de batteries, presque toutes les fonctions sont désactivées. Quand on a la poisse...

Un brouhaha attire son attention. Il se laisse guider… Une fête ?

En écoutant mieux il pense reconnaître des voix, mais lesquelles ? Il finit par se souvenir, Maare et les deux connards de la cafétéria. Il fallait tomber sur eux, s'apitoie-t-il.

_ ...trop énorme !

_ Grave ! Il s'est chié dessus je crois, vous avez été parfaits, fait une voix de fille. Il avait l'air trop con, tout seul sur son siège, sérieux ! Dit-elle avec euphorie.

_ Mais en vrai, c'est quoi son nom ? Demanda un garçon.

_ Oh, on s'en branle, c'est Obcy, pourquoi, tu veux te marier avec ?

Un rire gras général parvient aux oreilles de Kumail. Il déglutit avec difficulté. Et un autre se mit à parler.

_ Quelqu'un a eut Asaria ? J'ai pas eu de nouvelles, je pensais qu'elle allait venir…

_ Elle doit être en train de faire sa pisseuse, laisse-lui deux jours, et ça ira mieux après, répondit l'un d'eux en soupirant.

_ Agnagna il est mignon, Agnagna Maare viens m'aider à lui mettre un mot… imita ladite Maare. Faut vraiment qu'elle se fasse soigner. Franchement, on lui a rendu service, ça lui sauve sa vie sociale, là.

Asaria n'avait donc rien à voir là dedans, se dit Kumail, amère et pourtant le cœur un peu plus chaud.

Il reprit son chemin, préférant rester sur cette bonne note, qui lui permettra à elle seule de ne pas passer une soirée catastrophique. Peut-être … Peut-être qu'il pourrait retourner voir Asaria, lui parler, et pourquoi pas, devenir ami avec elle ? Il n'ose imaginer plus pour le moment. Il est seul, par choix, tente-il de convaincre Pune. En réalité par manque de choix. Il sent une nouvelle vague de frustration et d'injustice monter en lui. Pourquoi tout doit être aussi difficile, pour lui ? Pourquoi est-ce qu'il doit en chier autant ? Il crie et frappe un mur près de lui. Il s'est blessé, et il a mal. Comme si ça ne suffisait pas. Il retient le trop plein d'émotion qui tente de s'échapper de ses yeux, massant furieusement son poignet, quand un message y apparaît et détourne son attention, faisant furieusement clignoter la batterie mourante.

« Demande d'authentification. Accepter ? ».

Il confirme presque automatiquement, avant de réaliser qu'un mur lui a envoyé un message. Un Mur…

Soit. Pourquoi pas ? C'était peut-être juste un vieux panneau qui n'avait pas été déconnecté avant les travaux, le genre qui offrait des services de taxis, ou de tourisme. Au moins il pourrait rentrer tranquille.

Une autre question s'affiche : « Êtes-vous Toshiro Hyorinmaru 733 ? »

Son identifiant dans le monde virtuel ? Ça ne vient pas du jeu, pourtant. Et c'est crypté. C'est quoi, un virus ? Une arnaque ?

Il hésite à s'authentifier, et regarde partout autour de lui. Rien, c'est désert. Mais la curiosité le prend, éloignant pour un temps ses idées noires, quand il remarque à côté du texte, le même logo qui accompagnait le message de sa dernière mission. Une flèche dorée.

Il s'authentifie.

Une troisième question s'affiche : « Quelle est l'incantation originale pour libérer le shikai de Hyorinmaru ? »

_ Sérieusement… S'étonne Kumail.

« Confirmez-vous cette réponse ? »

Ne voulant pas laisser passer cette erreur, de plus en plus curieux, il s'empresse de corriger l'incantation : « Sôten ni Zase ». Et de la confirmer, avec un sentiment de fierté prononcé. Mais une nouvelle question apparaît : « Donnez-en sa signification la plus appropriée ».

_ Ah tu veux la jouer comme ça… S'excite Kumail.

Il se laisse prendre au jeu et réponds aussitôt : « règne dans le ciel gelé ». Ce n'était pas comme si ça pouvait servir à qui que ce soit, on pouvait trouver cette réponse en fouillant rapidement le Web, mais il voulait pouvoir dire qu'il répondait du tac-au-tac.

Quand il confirme la réponse, plus rien d'autre ne s'affiche. Déçu, il soupire et décide de rentrer, quand le mur s'illumine. Il sursaute, et regarde avec une curiosité mêlée d'une certaine crainte, la porte qui vient d'apparaître devant lui. Au-dessus, il est marqué « Toshiro Hyorinmaru 733, vous pouvez traverser la STG. ».

Wait. What ? C'était quoi, ça ? Un mur lui demande ses identifiants dans un jeu, lui pose des questions sur des attaques de haut niveau et là… ? Bon il n'est pas totalement stupide, il se doute que tout ça a sûrement un rapport avec sa dernière mission, mais… Un mur ?

Il reste devant un moment, se posant des centaines de questions. Et puis il revient sur sa propre introspection. C'est bien lui qui voulait du changement, non ? Alors… quoi qu'il puisse y avoir derrière cette porte, est-ce que ça pourrait être pire que ce qu'il vit maintenant ? Oui, ça pourrait, lui dit une petite voix. Et en même temps… sa batterie s'éteint.

Et puis merde se dit-il.

Il inspire un bon coup. 1… 2… Et 3… Il ferme les yeux, et traverse.

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